[b][u]Nicolas Sarkozy : un autre lui-même[/u]
Désormais, dans la crise des banlieues, il y a un avant et un après Nicolas Sarkozy. Explications.[/b]
[quote]Même si la crise des banlieues en France n'est plus à la "Une" de l'actualité, ses effets sont toujours à l'œuvre. Les vingt-cinq jours d'émeutes (fin octobre—début novembre 2005) doivent être finement contextualisés, décryptés et analysés, afin d'appréhender le malaise dans toute sa complexité. S'il est vrai que le choc psychologique a bien eu lieu – et c'est un euphémisme –, il n'en reste pas moins que les mesures prises par le pouvoir politique restent "périphériques" et sont dictées par l'urgence. L'extrême gravité de cette problématique exige la mise en place d'un programme pour traiter en profondeur les racines de cette crise multiforme. En tout état de cause, qu'on veuille ou non, la "France des banlieues" – une expression générique dont la géopgraphie est floue – s'installe dans la durée.
Le risque est grand – tous les ingrédients sont réunis –, pour que la psychodramatisation politique de cette question prenne le pas sur les autres considérations.
Moins de cinq cents jours nous séparent des prochaines élections présidentielles françaises, les futurs présidentiables tentent de se singulariser pour marquer le terrain et " ameuter " , avec une certaine longueur d'avance, la foule des électeurs. Dans cette guerre de positionnement, la "crise des banlieues" trouve en la personne de Nicolas Sarkozy une sorte de deus ex machina. Partisan d'une "autre manière de faire la politique", l'actuel ministre de l'Intérieur a été l' un des éléments clés de l'accélération, voire de l'amplification du malaise des banlieues. " Racailles", "nettoyer au Karcher"… , le choix des mots, qui sont des mots extrêmes, pour décrire la situation, obéit bel et bien à un calcul qui ne doit rien au hasard. Sa démarche "rentre dedans" place très haut, en termes de radicalisation, le curseur du débat politique en France. Ce discours "musclé" plaît à une partie de la France, dont on peut aisément imaginer le profil (1).
Nicolas Sarkozy : l'avant et l'après-"crise des banlieues". En politologie, il n'est guère de mystère. Pour situer tout acteur politique, il suffit d'analyser son champ sémantique et d'en étudier sa cohérence. Dans le cas de Nicolas Sarkozy, il s'agit bel et bien d'un virage, marquant une nette ultradroitisation de son discours. Fini la posture de rassembleur qu'il s'était "fabriqué" ces derniers mois. Certes, le timing de ce basculement n'était pas inscrit au programme. Mais lui et son état-major – en redoutables tacticiens – ont vite tiré les leçons des effets de la crise. Cette posture nouvelle met sous le boisseau, prenons le pari, l'argumentaire développé, non sans courage du reste, ces dernières années, sur l'organisation de l'Islam de France, la "discrimination positive" ou l'immigration choisie. Aujourd'hui, il est... ailleurs. Et sait qu'il ne pourra plus s'exprimer sur ces sujets avant longtemps. Quand bien même il le ferait, il ne serait ni crédible, ni audible.
Nicolas Sarkozy "exploser a-t-il en vol" ? L'état d'esprit de Nicolas Sarkozy a clairement évolué ces dernières semaines. Au fil des jours, il confirme cette réorientation. On décèle dans ce "parler vrai", mis en avant dans toute sa parole publique comme une marque de fabrique, une volonté nette de provoquer et même de stigmatiser ses "cibles". Les études d'opinion le confortent dans ses analyses. Sa bataille de la communication porte déjà ses fruits. Mais sa tâche est loin d'être terminée, ou plutôt ne fait que commencer. Pour dompter l'UMP, il accélère le mouvement en plaçant ses hommes dans les postes stratégiques, pour en faire un outil de conquête présidentielle. Ce travail de quadrillage ne va pas sans des tiraillements internes. L'arrivée des membres de son réseau – pour ne pas dire son clan – suscite des peurs et des jalousies à l'intérieur de cette formation politique. D'autres, perplexes et indéterminés, s'inquiètent de l'état d'excitation de Sarkozy, et jugent que cette attitude n'est pas compatible avec le statut d'un "futur président" de la République, lequel doit, selon eux, savoir maîtriser ses nerfs et ses états d'âme.
Dopé par ton "atypisme" et n'écoutant que son propre instinct d'animal politique, Nicolas Sarkozy entend cultiver cette fibre jusqu'au bout. Ce discours, "nouvelle manière", est en opposition frontale avec la "France des banlieues". Il est fait pour provoquer, diviser, enflammer… le "débat". Deux exemples récents illustrent cette "rupture" : lors de l'émission le grand jury RTL-LCI-Le Figaro, il tient ce propos qui a choqué : "M. Finkielkraut est un intellectuel qui fait honneur à l'intelligence française et s'il y a tant de personnes qui le critiquent, c'est peut-être parce qu'il dit des choses justes." (2) Alors que l'analyse biaisée de cet intellectuel, qui n'a jamais mis les pieds dans une banlieue, est une insulte à la réalité qu'il prétend décrire.
L'autre choix surprenant, et étrange : la nomination de l'avocat Arno Klarsfeld pour mener une réflexion sur la colonisation et la loi de février 2005, votée au parlement français reconnaissant les "bienfaits de la colonisation". Celui-ci vient de passer deux ans dans l'armée israélienne, en tant que soldat puis officier.
Nicolas Sarkozy sait parfaitement ce qu'il fait. Il n'est pas né de la dernière pluie. Loin s'en faut. Ce reclassement politique, articulé autour de prises de position très marquées, risque de révéler très vite ses limites, dans une France en quête de sens et de sortie de crise. Les prochains mois révéleront si Nicolas Sarkozy va "exploser en vol" (comme dit la presse satirique) ou non.
Attendons de voir.
Hichem Ben Yaïche
benyaiche@hotmail.com(1) Au-delà du "profil" classique des électeurs de droite, parmi les nouveaux adhérents, beaucoup viennent de l'extrême droite et de Démocratie libérale (DL) d'Alain Madelin. Ces derniers sont séduits par le discours "coup de poing" de Sarkozy. Voir à ce propos
www.sarkozynicolas.com et
www.forumssarkozy.com. C'est très révélateur !
(2) Lire "Le Monde" du 4 décembre 2005 : "Nicolas Sarkozy juge qu'Alain Finkielkraut 'fait honneur à l'intelligence française'" et "Le Monde" du 27 décembre 2005 : "Polémique sur la désignation d'Arno Klarsfeld pour mener la réflexion sur la colonisation". [/quote]