Taxe Tobin
Intervention du 19 janvier 2000
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, Nous savons tous, même si cette idée est souvent douloureuse, que chaque génération, au fil des temps a versé aveuglément dans ce que l’on pourrait appeler une idéologie dominante, un ensemble d’idées qui ne sont le plus souvent que des préjugés et qui sont acceptées pourtant telles quelles par le conformisme ambiant, contre lesquelles il est vain de s’élever tant ils paraissent naturels au commun des mortels et qui pourtant finissent par révéler aux générations suivantes combien ils ont été lourds d’erreurs et démentis par les faits. L’idéologie du libre-échange et la béatification permanente de la mondialisation constituent à nos yeux l’idéologie dominante, c’est-à-dire la grande Erreur de notre fin de siècle, à la fois aussi tenace dans les esprits et aussi dangereuse que le fut l’idéologie de la dictature du prolétariat dans les couloirs du Kremlin ou, voici quelques siècles, la certitude érigée en dogme que la terre était plate.
Aujourd’hui, il faut impérativement que nous dépassions l’idéologie du libre-échange, et surtout ce culte irrationnel pour la liberté des transactions financières ainsi que la flexibilité des changes et l’abolition des frontières économiques qui mène le monde dans de terribles impasses. La spéculation n’a certes pas commencé avec la mondialisation, mais notre monde dominé par une logique unique, j’allais dire un dieu unique, celui de l’argent du travail et non de l’homme au travail, a dépassé toutes les bornes du raisonnable. Avec un montant annuel d’échanges de biens et de services s’établissant à 36 000 milliards de francs, soit à peu près le produit de 4 jours de spéculation seulement, la bulle financière ne doit plus grand chose à l’activité productrice des hommes. Elle s’auto-alimente dans une surenchère qui ne cesse nier à travers la planète l’humanité de l’homme, les riches d’ailleurs autant que les pauvres, même si ce sont eux les plus pauvres qui à la fin des fins se trouvent exclus de la plupart des centres de production d’échanges et plus grave encore des centres de décisions, lesquels sont accaparés par une infime minorité, ce qu’un ministre de la République a nommé récemment une élite mondialisée.
Il était naturel que ces élites mondialisées excluassent peu à peu toutes préoccupations politiques de leur champ de manoeuvre, rejetant ainsi hors ces murs douillets tout risque d’entraver ou simplement de contrôler leur recherche frénétique d’accumulation de richesses, se mettant ainsi à l’abri de tout contrôle démocratique, parvenant en somme à être à la fois illégitime et irresponsable.
Pourtant les peuples résistent comme en témoignent leurs réactions à l’occasion de l’ineffable Sommet de Seattle où les principaux responsables de la planète ont accouru servilement, Commission européenne en tête, hélas, en espérant que leur docilité manifeste au pied du maître du monde, M. Clinton, et au service de son calendrier électoral, suffirait à leur assurer la portion du domestique. C’était sans compter sur la salutaire réaction des sans-grades, individus ou Etats, réaction plus organisée qu’on le dit d’ailleurs, et c’est fort heureux, comme elle l’est dans mon pays, la France, par les dynamiques et les magnifiques réseaux ATTAC, qui militent avec un succès grandissant dans l’opinion publique pour la limitation du libre-échange en général, le retour à un protectionnisme minimal, c’est-à-dire à la décision politique et à la réhabilitation des frontières, ainsi que tout particulièrement pour la taxation, à ces mêmes frontières, des transactions financières internationales.
La création d’une taxe, de type taxe Tobin, ne serait pas simplement juste, et je dirais raisonnable : elle se révélerait également politiquement opportune, au moins par sa charge symbolique, même si son taux est faible, en ce qu’elle signifierait avant tout que le politique reprend pied dans un domaine d’où l’on exclut des opérateurs dont les profits se révèlent proportionnels au degré de démission des Etats.
Une taxe, qu’il s’agisse de la taxe proposée par le Professeur Tobin, ou d’autres, comme celle du Professeur français Minguet, laquelle se révèle d’ailleurs légèrement plus réaliste, n’aurait pas pour simple but de limiter tant soit peu la spéculation financière et ses effets multiformes et délétères : elle enverrait un signal fort à toutes ces populations désenchantées, désabusées, dégoûtées par la lancinante chanson de la résignation et qui, ne vous y trompez pas, ne constituent pas seulement ce que l’on appelait naguère le tiers-monde auquel il faut ajouter des pans entiers de nos sociétés prétendument riches, mais la très grande majorité des peuples, y compris la très grande majorité des peuples de nos nations, lesquels dans leur immense majorité attendent, exigent et peut-être imposeront un jour par la violence un nouvel ordre économique mondial.
Ayons, Mesdames et Messieurs, l’ardeur et le courage de déplaire aux démiurges du temps, qui sacrifiant aveuglément à une idéologie implacable, celle du libre-échange, creusent à travers le monde des déséquilibres dont les années à venir montreront hélas combien ils sont lourds de menaces pour nos générations, comme pour les générations à venir.
Paul-Marie Coûteaux
Paul-Marie Coûteaux qui, avec Florence Kuntz et 35 autres députés de 3 autres groupes, est un des auteurs de la résolution sur la taxe Tobin, a déclaré lors de la discussion sur la taxe Tobin : " Le libre-échange et la béatification permanente de la mondialisation constituent, à nos yeux, l’idéologie dominante d’aujourd’hui, c’est-à-dire la grande erreur de notre fin de siècle, aussi dangereuse que le fut naguère l’idéologie de la dictature du prolétariat dans les couloirs du Kremlin, ou, bien avant, la certitude érigée en dogme que la terre était plate.
Notre monde est aujourd’hui dominé par une logique unique, j’allais dire un dieu unique, celle de l’argent au travail et non de l’homme au travail. Avec un montant d’échanges de biens et de services s’établissant à 36 000 milliards de francs, c’est-à-dire le produit de quatre jours de spéculation seulement, la bulle financière ne doit plus grand chose à l’activité productrice des individus. Elle s’auto-alimente dans une surenchère qui ne cesse de nier, partout, l’humanité de l’homme, celle des riches autant que celle des pauvres. (…)
La création de cette taxe, du type Tobin ou bien du type plus réaliste du professeur Lauré, se révélerait politiquement opportune, au moins par sa charge symbolique même si son taux est faible, en ce qu’elle signifierait avant tout que le politique reprend pied dans un domaine d’où l’ont exclu des opérateurs dont les profits se révèlent proportionnels au degré de démission des Etats . "