Extrait du Figaro
Les élèves sans papiers ne seront pas expulsés
Marie-Christine Tabet
06 juin 2006, (Rubrique France)
Face à la mobilisation dans les écoles, Nicolas Sarkozy choisit de régulariser les familles les plus intégrées. Quelque 1 200 personnes sont concernées.
CET ÉTÉ, il n'y aura pas de chasse aux enfants sans-papiers scolarisés dans les écoles françaises. Nicolas Sarkozy s'apprête à envoyer une circulaire aux préfets pour leur demander de la clémence à l'égard des familles de ces élèves. Le principe de leur régularisation, dont les modalités précises ne sont pas finalisées, est acquis. Le ministre de l'Intérieur fera passer le message dès aujourd'hui, lors de la présentation de son projet de loi sur l'immigration au Sénat, déjà adopté en première lecture par les députés.
Selon les estimations des préfets, quelque 800 familles, soit à peu près 1 200 personnes, pourraient être ainsi autorisées à rester en France et se verront délivrer un titre de séjour. Le cadre de cette opération est étudié de très près afin d'éviter de créer un appel d'air pour de nouvelles arrivées de clandestins. L'objectif est d'agir au cas par cas. Les familles concernées seront celles dont les enfants sont nés en France, ont toujours été scolarisés et ne parlent pas la langue de leur pays d'origine. Une commission nationale exceptionnelle, réunissant associations et administrations, étudiera les dossiers. En outre, toutes les familles se verront proposer une aide au retour volontaire dont le montant, actuellement de 2 000 euros par adulte, sera augmenté.
Au ministère de l'Intérieur, la décision d'infléchir la politique a été prise vendredi. Voici les principales raisons qui ont conduit Nicolas Sarkozy à ce choix.
• Une opinion publique sensible
Depuis de longs mois, la question occupe les réunions, Place Beauvau. Au cours de cette année scolaire, la mobilisation des parents d'élèves, des enseignants et des camarades de classes ont empêché l'expulsion de plus d'une dizaine de familles sans-papiers. Face à la bronca populaire, à Bobigny, Antony, Lyon, Sens ou Brest, l'administration a dû céder et arrêter les procédures en cours. En mai dernier, à Evreux, le préfet a même dû organiser le retour en France d'une jeune mère de famille renvoyée quelques jours plutôt à Bamako... A chaque fois, une solidarité de proximité s'organise et dépasse largement le public des associations d'extrême gauche. En Bretagne, ce sont des femmes de militaires qui cachent des enfants ; ailleurs un pasteur...
En octobre, une première circulaire était envoyée aux préfets pour leur demander d'éviter le plus possible les éloignements pendant l'année scolaire. Le moratoire devait prendre fin le 4 juillet.
Un réseau de soutiens efficace
[b]La solidarité spontanée est en effet encadrée par un réseau structuré, le Réseau éducation sans frontière (RESF), constitué en juin 2004. Il s'agit d'une structure souple qui repose sur la bonne volonté des enseignants, véritables vigies dans leurs établissements. Les fondateurs de RESF sont des briscards de la politique. Richard Moyon, professeur d'histoire, a passé vingt ans à Lutte ouvrière. Le réseau bénéficie du soutien logistique (tracts, photocopies...) de syndicats ou de partis amis comme le Snes, la FSU... Depuis le début des débats sur la loi immigration, RESF a rallié nombre d'intellectuels qui sont prêts à se mobiliser pendant l'été pour «cacher des enfants menacés». [/b]
• Une opération de séduction des sénateurs
«Le Sénat est toujours plus sensible au respect des libertés publiques, explique un proche du ministre de l'Intérieur, même s'il adhère totalement à notre politique.» Il n'empêche que les sénateurs ont récemment montré qu'ils n'étaient pas hostiles aux régularisations et qu'ils ne voulaient pas toucher aux droits sociaux acquis par les sans-papiers. Le rapporteur du texte Sarkozy, le sénateur du Rhône, François-Noël Buffet, un proche du premier ministre, entend d'ailleurs faire voter un amendement pour alléger les nouvelles contraintes financières liées au regroupement familial.
• Un coup politique
Afin d'«équilibrer» son texte, le ministre de l'Intérieur était à la recherche d'une mesure généreuse, à l'instar de la suppression de la double peine. Il comptait sur le concept d'«immigration choisie», avec l'ouverture du marché du travail aux étrangers. Mais la formule a été mal comprise et elle a braqué les partis de gauche et les pays d'origine. La régularisation des familles d'élèves sans-papiers lui ouvre de nouvelles perspectives.
L'avocat Arno Klarsfeld, de plus en plus écouté par le ministre, a joué un rôle influent. Il est l'auteur d'une note récente prônant un assouplissement des règles pour les familles.
Après les déclarations de fermeté de Ségolène Royal sur la délinquance des mineurs – qu'il a analysées comme un appel du pied à ses propres électeurs –, Nicolas Sarkozy veut montrer que lui aussi est capable de séduire dans le camp adverse.
Face à la mobilisation dans les écoles, Nicolas Sarkozy choisit de régulariser les familles les plus intégrées. Quelque 1 200 personnes sont concernées.
Conclusion : les gauchistes font la loi en France. Sarko, comme les autres, s'écrase